mardi 4 juin 2013

Brutal

Deux professeurs s'interrogent sur l'attitude de la police de Montréal. Une réflexion nécessaire.

À propos de la brutalité policière



« Il est de mauvais exemple de ne pas observer une loi, surtout de la part de ceux qui l’ont faite et rien de plus dangereux pour ceux qui gouvernent une ville que de rafraîchir chaque jour les blessures faites au peuple. »  - - - Nicolas Machiavel, Le prince, chapitre 45.

 

Montréal, le 28 mai 2013

-     Depuis un certain temps déjà on constate que la police de Montréal s’est enfermée dans une grammaire de la violence et de la brutalité. De nombreux indices nous permettent de croire qu’il ne s’agit plus de dérapages occasionnels. 
Car la violence et la brutalité liées aux interventions de la police semblent être devenues systématiques, organisées. Un peu comme on structure un discours lors qu’on veut être bien compris par un interlocuteur.En prenant prétexte de la bonne marche des affaires, du calme requis par les nécessités du commerce et de l’utilisation sécuritaire des rues de Montréal, les agents ont poussé à l’extrême l’application du règlement P-6. Paradoxalement, une bonne part de la société civile et de la classe politique s’interroge sur la pertinence de ce règlement au point de souhaiter son abrogation. 


-     La grammaire de la violence déployée par les agents du SPVM conjugue le mot haine sous tous les aspects imaginables. Cela se manifeste tout d’abord par l’usage immodéré de tout l’arsenal dont les policiers disposent : matraque, gaz et poivre mais aussi coups de boucliers, coups de pieds, de poings, cheveux tirés, etc. Souvent, la force utilisée pour arrêter les manifestants est sans commune mesure face au peu de résistance opposé de la part des manifestants. 

-     On voit également cette violence dans l’usage des souricières et dans la manière de les appliquer. Faire poireauter les manifestants durant plusieurs heures, les privant de liberté, parfois de soins, les privant généralement d’eau et de l’usage de toilettes, ce sont là des formes de violence. Depuis le mois de février 2013, les policiers ont adopté une nouvelle stratégie : de nombreuses manifestations sont prises en souricières dès le point de départ. Ce langage de la répression semble donc exclure a priori la possibilité de manifestations pacifiques. Selon Machiavel, mieux vaut être craint qu’être haï (cf. Le Prince, chapitre 17). Or, les agissements des policiers à l’égard des manifestants non seulement ne suscitent ni le respect ni la crainte, mais produisent justement cette haine malfaisante, un ressentiment dont on ne peut rien attendre de positif.

-     Enfin, on retrouve des traces de cette grammaire de la violence dans le comportement des anti-émeutiers. Les sites de partage d’images et les différents réseaux sociaux fourmillent d’exemples de débordements policiers. Les articles 5 et 6 de leur code de déontologie sont transgressés cavalièrement, régulièrement. Ainsi les policiers insultent, jurent, masquent leur identité et montrent le plus grand mépris à l’égard de citoyens qui, pour la plupart, ne font qu’exprimer publiquement leur mécontentement. Violence suprême, à l’égard des manifestants, la police semble avoir totalement perverti le principe du fardeau de la preuve : les manifestants seraient coupables a priori. Par l’usage répété de cette grammaire de la violence, le SPVM transgresse sa mission fondamentale et se donne lui-même un rôle politique. 

-     À plus ou moins brève échéance, cette grammaire de la violence ne peut produire qu’un système fermé, ne peut engendrer qu’une réponse à son tour violente et haineuse. Pas besoin d’être grand mage pour comprendre que la violence et la haine engendrent généralement la haine et la violence en guise de réponse. 

-     En déployant de fois en fois cette grammaire de la violence, la police montréalaise crée un sentiment d’injustice puissant et c’est maintenant toute une génération qui conçoit de la haine envers la police. Veut-on vraiment cela pour notre société? Un capital de colère et de haine, fondé sur un sentiment d’injustice qui pourra nourrir des années de tumultes sociaux? Jusqu’où faudra-t-il remonter dans l’histoire de l’humanité afin de faire comprendre aux policiers montréalais que créer la haine ne donne pas de bons résultats? Souvent l’intervention policière elle-même produit plus de désordre que ne le font les manifestants lorsqu’on les laisse déambuler en paix.

-     Nous avons la conviction que la police pourrait procéder autrement tant dans l’encadrement des manifestations que par rapport à l’application de P-6. 

-     La grammaire de la violence telle que déployée actuellement (à Montréal mais aussi en périphérie) ne favorise pas la concertation et le rapprochement avec les citoyens. Nous rappelons donc aux policiers qu’il existe une diversité d’approches. La prévention et la résolution de problèmes ont inspiré des méthodes d’interventions alternatives qui ont fait leurs preuves. En préférant ces outils à une violence déclinée sous toutes ses formes, les policiers chargés d’encadrer les manifestations deviendraient alors de véritables agents de la paix, ce qu’ils ont cessé d’être depuis plusieurs mois. Est-il nécessaire de rappeler à nos politiciens et aux supérieurs de la police que n’importe quel régime finit par tomber dès lorsqu’il se fonde sur la répression et la brutalité?



Martin Godon, professeur de philosophie, Cégep du Vieux-Montréal,
Hadi Qaderi, professeur de sciences politiques, Cégep de Maisonneuve.


https://www.facebook.com/notes/martin-godon/%C3%A0-propos-de-la-brutalit%C3%A9-polici%C3%A8re/10151489684228233

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