lundi 20 décembre 2010

Timides

Nous avons la chance, la rare chance de vivre dans un pays relativement calme et civilisé, dans un État de droit où tous les citoyens jouissent de toute une panoplie de droits que nous envient bien des peuples de par le monde. Des gens qui sont prêts à dépenser des sommes folles, à prendre des risques insensés, et même à affronter notre administration pour venir s’établir dans un pays où l’on respecte autant les citoyens. Pour ceux qui ont eu la fortune de naître dans un tel pays, il est difficile de se rendre compte du pouvoir d’attraction que nous exerçons.

___ Ailleurs que chez nous règnent la terreur, la corruption, la violence. Nous, nous nous prélassons dans un douillet cocon sécuritaire.

___ Ou du moins le croyons-nous. Car rien n’est jamais acquis, si on ne fait pas les efforts nécessaires pour le maintenir. À force de nous reposer sur mos lauriers démocratiques, pour lesquels nos prédécesseurs ont risqué, et parfois perdu leur vie, nous sommes devenus si mous qu’un simple froncement de sourcil suffit à nous faire rentrer dans le rang. Notre peuple est un paradis pour chien de berger. Même pas besoin de se fatiguer à aboyer, sans parler de courir.

___ Ainsi, normalement, nous sommes gouvernés par des élus, c’est à dire des gens comme nous que nous choisissons pour nous représenter et auxquels nous déléguons la gestion de l’État. Ou celle de la municipalité. Enfin, ça, c’est la théorie. Parce que l’on peut douter du caractère représentatif de bien des députés, y compris le premier, et quant aux maires, on les acclame, ou bien on fait semblant de les élire. Bon, c’est comme ça.

___ Mais même ça, c’est trop. En 2009, des maires dans la région de Lanaudière se sont sentis insultés du fait que des gens aient osé postuler aux postes de conseiller municipaux et de maire, les forçant donc à organiser des élections. De simples mortels qui avaient la prétention de jouer le jeu démocratique selon les règles officielles, et non selon les usages officieux. C’était carrément indécent. Les offusqués et leurs amis ont donc réagi.

___ Il y a eu de petits conseils amicaux par téléphone, expliquant aux citoyens que les élections, ça coûte cher et c’est complètement inutile [sic]. Il y a eu des visites tard en soirée pour dire à des commerçants que s’ils savaient vraiment où est leur intérêt, ils ne se mêleraient pas de ce qui ne les regarde pas, sans quoi ils risqueraient de faire faillite et de ne jamais plus trouver d’emploi dans toute la région. Il y a eu l’interpellation non motivée d’un militant, qui fut relâché un peu plus tard sans explications. Le mari d’une candidate s’est fait dire par son employeur que la politique, c’était très mauvais pour son travail ; celui d’une autre a reçu la visite musclée d’hommes de mains. Et les inspections inopinées chez les représentants officiels, aussi.

___ Diverses pétitions ont circulé dans les banlieues. Des gens, employés par la ville ou amis des élus, sont passés les déchirer, et expliquer aux commerçants ce qu’il leur en coûterait s’ils persistaient à relever la tête.

___ Quand des citoyens réussissent à entrer dans la salle du conseil municipal, qui est minuscule et presque pleine avant la tenue de la séance “publique”, et demandent des éclaircissements sur des dérogations ou des attributions de contrats, ou des précisions sur quelque sujet que ce soit, ils se font trop souvent répondre que cela ne les regarde pas, que ce n’est pas d’intérêt public ou qu’on ne répondra à leurs questions que plus tard et en privé. Et ceux qui insistent se font mettre en demeure de se la fermer, par voie d’huissier.

___ Cela se passe au Québec, en plein XXIe siècle. Pas autrefois, pas ailleurs.

___ On peut s’interroger. Serait-ce que nos politiciens sont si arrogants, ou leurs amis de l’industrie si puissants, que le bon peuple n’a de choix que la soumission ou la mort ? Y a-t-il des bandes armées qui sillonnent les rues pour enlever les dissident, et les emmener faire un tour de voiture ou d’hélicoptère ? Les divers corps de police sont-ils tous uniformément marrons ? Bref, sommes-nous déjà sous la botte d’une dictature de fait, malgré les apparences ? Apparences qu’on se soucie de moins en moins de sauver ? J’espère que nous n’en sommes pas là.

___ On a encore le droit de “chialer”. Ça ne donne rien, mais “ça fait sortir le méchant.”

___ En 1968, il y avait un graffiti, à paris : « Si les élections pouvaient changer les choses, elles seraient illégales. » Ce n’est pas complètement faux. Mais nous jouissons tout de même d’une faible influence, d’une minuscule liberté, en autant du moins qu’on ne les laisse pas dépérir. À tout prendre, je préfère le régime du cause toujours à celui du ferme ta gueule, mais je préfèrerais encore que l’on essaie de faire fonctionner ce régime dit démocratique un peu comme il est censé le faire en théorie.

___ Évidemment, pour ça, il faudrait que les bonnes gens s’en occupent. Mais plus ça va, et plus le citoyen québécois moyen me fait penser au “Malheureux magnifique”, cette statue si représentative, à Montréal, au coin de Sherbrooke et Saint-Denis.

___ Dommage.

2 commentaires:

Thibaud a dit…

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Anonyme a dit…

Je viens de lire tes réflexions. J'avais perdu de vue que tu demeures à Terrebonne et que le fumet des scandales municipaux parvenait d'autant plus vite à tes fenêtres... Bon courage!