dimanche 20 février 2011

Ter et der

Ter et der.

L’année 2010 s’est donc achevée sur un deuil. Ma Dame a perdu sa tante A, laquelle avait perdu son mari l’hiver dernier, début 2010. Elle en avait brusquement perdu aussi l’envie de vivre.

Nous sommes donc allés pour la troisième fois à Montmagny. En espérant que ce soit la dernière.

C’est loin, et c’est froid. Nous aurions voulu descendre Chez Octave, l’auberge que nous avions tant appréciée les deux premières fois, mais hélas ils prenaient leurs vacances précisément à ce moment-là. Fils nous accompagnait, attiré par la réputation culinaire de l’auberge. Nous nous sommes donc rabattus sur un logis, un Bed and Breakfast, un “café-couette”, pas trop loin du salon funéraire proche de l’église ronde, en bois, où aurait lieu la messe d’enterrement.

Les rituels funéraires nord-américains sont assez différents de ceux de France. On embaume le corps, on l’expose deux ou trois jours, puis on ferme le cercueil, on le transporte à l’église, puis tout le monde s’en va. Pas d’enterrement proprement dit. Pas même de ripaille rituelle.

Nous sommes donc partis de la maison en fin de matinée, le 5, et sommes arrivés à Montmagny dans l’après-midi, après une brève halte dans un relais routier sympa mais vraiment très rural. Nous sommes allés déposer nos bagages au dit logis, tenu par une dynamique sexagénaire qui avait été infirmière, puis enseignante au secondaire.

Les deux marquises, à Montmagny, tire son nom du fait qu’il s’agit de deux maisons collées réunies, chacune ayant son perron surmonté d’une marquise. C’est calme, c’est coquet, c’est confortable, on y est très bien accueilli et il y a tout plein de livres en français et en anglais. La tenancière est érudite, a de la conversation et de la gentillesse en quantité suffisante pour compenser le climat sibérien. L’historique de la maison est affiché dans le petit salon, et pour les drogués dans mon genre l’hôtesse accepte de partager son lien wi-fi.

Ensuite, nous sommes allés à pied au salon funéraire, qui n’est qu’à quelques centaines de mètres, mais il faut traverser deux petits ponts, et le vent est froid dans ces contrées. Nous sommes arrivés tout gelés malgré nos manteaux canadiens. Là, nous avons vu quantité de B. (le nom de jeune fille de la défunte et de la mère de Ma Dame) et de L. (le nom marital de la défunte). Quelques-uns m’ont reconnu ; après tout, c’était ma troisième visite. Probablement aussi ma dernière, étant donné que pour aller à Montmagny, il faut vraiment avoir une bonne raison.

Comme je l’ai expliqué à l’aimable tenancière de Chez Octave, qui me disait espérer ma clientèle “la prochaine fois”, Ma Dame commence à être à court de vieilles tantes. Aucun décès prévisible dans un proche avenir, aucun mariage non plus – les jeunes sont trop jeunes et de toute façon la coutume s’en perd.

Le soir, à l’initiative d’une parente, une partie de la famille s’est réunie pour un dîner (en québécois, un souper) au restaurant La Couvée, qui fait partie d’un hôtel de luxe, L’oiselière, dont la principale caractéristique est d’avoir une immense serre qui permet aux pensionnaires de se promener dans un jardin d’hiver tiède, agréable sous ce climat, à part la forte odeur de chlore de la piscine toute proche.

La tablée étant tout en longueur, et la réverbération n’aidant pas, seuls les voisins pouvaient se parler. Le repas était correct, sans plus, le service normal, mais le prix était celui d’un restaurant de premier ordre. La cuisine, non. Nous sommes assez difficiles pour ce qui est de la gastronomie.

Après ce prétentieux intermède, nous sommes brièvement revenus au salon, puis sommes rentrés au logis, où nous attendaient deux chambres un peu fraîches mais impeccables. Nous y avons bien dormi, puis sommes allés prendre notre petit-déjeuner avec notre logeuse, dont nous étions les seuls clients. Elle avait prudemment décidé de m’épargner la présence de ses chats, sauf une vielle chose obèse qui ne bouge guère plus qu’un bibelot poilu.

Le petit-déjeuner fut agréable, agrémenté de produits locaux et de la conversation de notre hôtesse, servi dans un cadre raffiné et une vaisselle au délicieux charme suranné.

Ensuite, nous sommes retournés au salon funéraire, où nous attendaient le corps et les endeuillés, qui avaient revêtu leurs tenues rituelles. Nous avons pris ou repris quelques contacts, notamment avec un demi-frère de Ma Dame (beaucoup de familles sont buissonnantes par ici), journaliste réputé.

Ensuite, nous sommes allés avec tout le monde à l’église voisine, qui est une espèce de hutte dodécagonale en bois, financée par les Chevaliers de Colomb locaux (une sorte de club catholique canadien-français).

La cérémonie fut étrange. Le rituel romain y était méconnaissable, la liturgie minimaliste, le prêtre officiant incompréhensible. Il appelait la défunte “Madame A”. Une chorale du quatrième âge a fort bien chanté. De petits enfants se sont promenés, pour s’occuper. Mais une chose était comme à l’accoutumée : la quête.

Nous sommes partis juste à la fin de l’office ; nous avions pris la précaution de faire nos adieux au salon. Nous avions mis nos bagages dans la voiture, ce qui nous a permis de prendre immédiatement la route pour aller à Québec. Là, nous sommes allés tester un restaurant chaudement recommandé par une consœur de Ma Dame. Cher, comme la veille, mais considérablement meilleur. Ce périple n’aurait pas été complet sans une expérience gastronomique. Après un bon repas, nous avons repris la route, et à part un bref arrêt-pipi, nous sommes allés voir le Philosophe chez lui, nous avons récupéré du matériel que Fils voulait rapporter, puis nous sommes allés prendre un verre et des zakouskis avec lui dans un Saint-Hubert. Ensuite, le Philosophe est allé à une répétition de son groupe de musique agressive et nous sommes rentrés tout droit à la maison où nous fûmes contents de retrouver nos pénates.

Et c’est ainsi, par un deuil, une bombance et une agréable rencontre, que nous avons conclu la période des fêtes.

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