jeudi 17 mars 2011

Degagezvous

Dégagez-vous, qu’on vous dit !

Le 15 Mars 2011, Pierre-Luc Brisson, ancien attaché politique de la circonscription de Terrebonne, publiait dans Le Trait d’Union une lettre ouverte intitulée « Engagez-vous qu’ils disaient ! », citation de René Goscinny dans les albums d’Astérix, où le légionnaire romain qui vient de se faire massacrer se plaint de la propagande de recrutement.

http://www.letraitdunion.com/Actualites/Vie-municipale/2011-03-15/article-2331561/Engagez-vous-qu%26rsquo%3Bils-disaient!/1

Pour mémoire, ce slogan est recopié des affiches de recrutement de l’armée française d’autrefois.

http://img17.imageshack.us/f/dscf1759r.jpg/

http://www.memorial-caen.fr/fr/phototheque/images/PCD120732432062-IMG0099.jpg

Pierre-Luc Brisson se plaint. Il rejoint le chœur des pleureuses qui s’est déjà exprimé dans les colonnes du Trait d’Union. Nos élus seraient victimes, apparemment, de la malveillance systématique des journalistes qui s’obstinent à poser des questions qui fâchent et qui tiennent à ce qu’on leur réponde. C’est inouï.

Les pauvres victimes reprochent à ces journalistes outrecuidants d’entretenir, voire de provoquer la désaffection des citoyens à l’égard des élus et de la politique. Le culte du secret, la rétention d’information, la condescendance dont font preuve des personnages installés dans leur charge à l’égard de leurs administrés – on n’ose plus les qualifier de citoyens – tout cela n’y est évidemment pour rien, pas plus que les soupçons ou les secrets de Polichinelle, repris par des “allégations” dont se rend coupable la maudite engeance des journalistes.

Dernièrement, l’Empire médiatique de Québécor a cité les rémunérations des maires de la couronne nord. Ce n’était pas une information confidentielle, il n’y a rien d’anormal à imprimer des chiffres qui, s’ils sont généralement traités avec grande discrétion, ne sont pas secrets.

Dans Le vrai salaire des maires de la couronne nord, TVA nous apprend – car la plupart d’entre nous ne le savaient pas – que le maître de Terrebonne est à l’abri du besoin :

L’an dernier, Jean-Marc Robitaille a reçu 103 999 $ comme salaire à titre de maire de Terrebonne. 25 000 $ à titre de membre du comité exécutif de sa ville. Monsieur Robitaille siège aussi à la Communauté métropolitaine de Montréal. En 2010, la CMM lui a versé un salaire de 495 $. Enfin, sa présence comme préfet à la MRC Les Moulins lui a permis de gagner 1380 $. L’an dernier, sa rémunération totalisait donc 130 874 $. En ajoutant à cette somme son allocation non imposable de 14 759 $, on en arrive à des revenus de 145 633 $ en 2010.

Source : http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/archives/2011/03/20110314-044955.html

Il n’y a là aucun bris de confidentialité. Tout cela est parfaitement légal, et de toute façon si les élus avaient des revenus illégaux, nous ne le saurions pas, par définition.

Pierre-Luc Brisson dit que les maires n’ont rien à cacher. De fait, ces informations sont disponibles, et il est impossible de s’opposer à leur divulgation. Le journaliste Yves Poirier a usé, comme c’est son métier et son devoir, de la loi d’accès à l’information. Que peut-on donc lui reprocher ? de dévoiler publiquement une information qui est publique en droit et qui devrait être publique en fait, sans qu’il soit nécessaire qu’un professionnel de l’information ne s’y intéresse ?

Contrairement à ce que dit Pierre-Luc Brisson, je ne vois rien là qui soit du mauvais journalisme et Yves Poirier n’a fait là que son travail. Consciencieusement.

Enfin, Pierre-Luc Brisson trouve que 145 633 $, c’est vraiment peu eu égard aux sacrifices consentis – imaginez, aller visiter des vieux et des chevaliers de Colomb ! Pourquoi pas le cercle des fermières et les scouts, tant qu’on y est ! – mais aussi par comparaison à ce que reçoivent des députés provinciaux ou fédéral de l’opposition, oui, de l’opposition ! Ils pourraient se contenter d’être laissés libres et en vie, ces ingrats.

Nous savons que le premier ministre actuel du Canada, le premier ministre actuel du Québec, le maire de Terrebonne et certains de ses admirateurs sont issus de l’idéologie conservatrice, laquelle ne prône ni la démocratie la plus ouverte, ni la transparence la plus absolue, ni un grand respect des simples citoyens, sans parler de la légitimité d’une opposition.

Hélas, les temps changent, le vent tourne, même les dictateurs du Maghreb sont poussés dehors par leurs peuples au cri de Dégage !.

Bien entendu, il ne saurait être question de comparer les très honorables personnages publics cités ici à de vulgaires dictateurs déchus. Il faut simplement constater que les populations ici ou là semblent reprendre intérêt aux affaires qui les concernent, et que leur désaffection de leurs politiques ne signifient pas qu’ils aient totalement décroché de la politique, au sens le plus noble, qui est celui de servir et non de se servir.

Et les représentants autoproclamés de l’opposition, cela n’existe pas : n’importe quel citoyen a le droit et le devoir de s’opposer à ce qui lui semble inacceptable. Quand les élections sont libres et honnêtes, il est rare qu’un parti unique obtienne la majorité absolue ou 100 % des voix, selon les cas et les pays. Le régime du parti unique, l’unanimité électorale, cela ne se voit qu’en dictature, et il semble bien que plusieurs citoyens ne souhaitent pas en arriver là. En démocratie, il faut se résigner à composer avec une opposition, laquelle a le droit de poser des questions, de recevoir des réponses et d’être traitée avec respect.

Car l’opposition, ce n’est pas une bande de “clowns” et un conseil municipal, ce n’est pas un syndicat de la construction.

C’est pourquoi je ne saurais trop conseiller aux aspirants politiciens comme Pierre-Luc Brisson d’appliquer l’adage anglais : if you can’t take the heat, get out of the kitchen. La politique, en démocratie, c’est rendre compte de ses revenus, accepter et tolérer l’opposition, répondre aux questions, informer complètement et correctement les électeurs, et les représenter, les défendre, pas les considérer comme un cheptel dont on a la garde ou la propriété.

Si l’existence d’une opposition et d’une information libre et complète vous offusque, c’est que vous n’adhérez pas aux principes démocratiques. Tout simplement. Vous vous trompez de régime.

Si c'est le cas, dégagez-vous.

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